Depuis plusieurs semaines, les Haïtiens occupent les rues pour manifester leur mécontentement face à des conditions de vie très difficiles et pour réclamer la démission du président Jovenel Moise. «Ce que nous vivons maintenant est pratiquement indescriptible» témoigne Mgr Alphonse Quesnel, évêque de Fort-Liberté qui a cependant bien voulu essayer de nous décrire la situation à Haïti.
Cécile Mérieux – Cité du Vatican
Pour Mgr Alphonse Quesnel, évêque de Fort-Liberté, Haïti traverse un «moment tragique de l’histoire d’un peuple». «On pourrait même dire qu’il y a une sorte d’apartheid dans ce pays, poursuit-il, où une grande partie de la population souffre de tous les maux possibles et imaginables : pas d’eau, pas d’électricité, pas de route, pas de services de santé». Tous les services de la société haïtienne sont paralysés. Les détritus envahissent l’espace urbain et menace de provoquer des épidémies sanitaires. Selon un communiqué des Nations-Unies publié mercredi 2 octobre, près de 2,6 millions d’Haïtiens sont en situation d‘insécurité alimentaire.
La population a dressé des barricades dans les rues où des affrontements ont lieu entre contestataires et forces de l’ordre. Des commissariats, des magasins des quartiers aisés, mais aussi des postes d’ONG comme la Caritas de la ville des Cayes ont été saccagés et pillés. Ce vendredi est prévue une nouvelle journée de manifestation nationale de l’opposition.
«La population est prise en otage»
Une grave pénurie d’essence paralyse le pays depuis mi-août et exacerbe les tensions. Les compagnies pétrolières n’importent plus leurs produits sur le marché haïtien, car le pays ne dispose pas d’assez de trésorerie pour acheter le carburant en raison de ses importantes dettes.
Selon le porte-parole des Nations-Unies, Stéphane Dujarric, les problèmes de sécurité et d’approvisionnement en carburant affectent les programmes humanitaires des Nations-Unies et des organisations non-gouvernementales. L’ONU a averti que la crise haïtienne entravait le fonctionnement des hôpitaux, des orphelinats et des écoles. En effet, le manque de carburant, la carence d’eau potable et de produits de première nécessité restreignent les capacités d’action des organismes et contraignent des écoles à fermer leurs portes, empêchant l’accès à l’éducation à des milliers d’enfants.
Un «pouvoir en déroute»
En plus de la dénonciation des conditions de vie indigentes, la population accuse le gouvernement de gaspiller l’argent du pays et d’être coupable de corruption. Selon Mgr Quesnel, l’élément déclencheur du mouvement contestataire est la révélation du scandale du gaspillage des Fonds de Petrocaribe. Cette affaire s’est ajoutée à «l’incapacité du président actuel M. Jovenel Moïse à répondre aux besoins les plus élémentaires».
«Actuellement c’est un pouvoir en déroute. Depuis six mois, il n’y a pas de gouvernement, depuis 2 ans il n’y a de budget et l’aide internationale n’arrive plus. Les caisses de l’Etat sont pratiquement vides et il y a des professionnels de l’Etat qui depuis 18 mois n’ont pas reçu de salaire. À côté de tout cela il y a une inflation galopante, le pouvoir d’achat des gens diminue considérablement. En un mot, c’est le chaos total.»
Mgr Quesnel regrette que les autorités n’écoutent pas les plaintes et revendications du peuple, et qu’elles s’entêtent à mener leur politique à coup de promesses sans effet. «Il n’y a pas de respect de la population» déplore-t-il. «Les gens prennent le chemin de la rue parce qu’ils se sentent comme blessés dans leur être profond et ils demandent justice et réparation».
Dans un discours télévisé, le président Jovenel Moïse s’est adressé à la population en leur demandant une «trêve», afin de pouvoir «entamer les réformes institutionnelles sociales et économiques indispensables au développement du pays». Mais depuis, la population n’a pu contraster nulle mesure concrète pouvant calmer leur colère. Le président a proposé de «répondre à la violence politique par le dialogue», mais les manifestants refusent de négocier avec le gouvernement discrédité.
L’Église auprès des Haïtiens en difficultés
«Déjà en 1983, lors de la visite du saint Pape Jean Paul II, rappelle Mgr Quesnel, il avait lancé ce cri qui avait suscité un grand espoir : ‘Il faut que les pauvres de toutes sortes se reprennent à espérer’. Il y a eu la chute de la dictature des Duvalier en 1986. Les pauvres de toute sorte pensaient qu’avec l’arrivée de Jean Bertrand Aristide en 1990 cela apporterait le changement tant attendu. Et rien.»
La Conférence épiscopale d’Haïti a appelé le gouvernement à «prendre ses responsabilités en vue du bon fonctionnement les institutions du pays». Déjà début juin elle avait dénoncé dans une lettre que la source du mal du pays était «l’amour excessif de l’argent».
La Conférence a un «rôle vraiment catalyseur, prophétique, au sein de la population, affirme Mgr Quesnel. Il y a un climat de confiance vis-à-vis des évêques». Cependant, il doute que la conférence épiscopale ait une influence conséquente sur les institutions et la résolution de la crise actuelle. «Mais l’essentiel c’est que nous sommes présents et que nous accompagnons le peuple de Dieu, la population haïtienne.»
L’évêque souligne le travail d’accompagnement de l’église haïtienne auprès de la population tout au long de la crise : «Ce qui me frappe toujours c’est de voir combien des prêtres acceptent d’aller dans les endroits les plus reculés du pays pour apporter le pain de l’instruction et le pain de la parole de Dieu»
Insoluble crise
Les pourparlers avec la communauté internationale à travers le Core Groupe, composé de pays «amis d’Haïti, tels que les Etats Unis, le Brésil, la France le canada, l’Allemagne, l’Espagne et l’union européenne» n’ont pas mené à une résolution du cas haïtien. Malgré la médiation, également tentée par la structure œcuménique Religion pour la paix, les partis opposés n’ont pas trouvé de terrain d’entente.
Pour Mgr Quesnel, la priorité «est de créer un climat de confiance entre tous les acteurs de la crise, qu’ils puissent se parler, et dire la vérité rien que la vérité. C’est-à-dire : est ce qu’ils veulent le bien-être de ce peuple ?». Puis, vient la nécessité d’«une conversion en profondeur, que les protagonistes de la crise puissent voir le bien commun, l’intérêt de la Nation avant leur propre intérêt».
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